A en croire lâarticle paru dans le numéro dâété 2005 du Bulletin dâEau et Rivières de Bretagne, le réchauffement de la planète et, en particulier, celui des eaux de lâAtlantique Nord constituerait aujourdâhui la principale cause probable de la raréfaction des saumons, notamment en France et en Espagne, pays situés à la limite Sud du saumon Atlantique en Europe.
Cette théorie, qui évacue un peu vite toute responsabilité humaine, est de fait avancée depuis quelques années par certains scientifiques, surtout en France ; elle nâest cependant pas validée par les Organisations internationales spécialisées, telles que le CIEM et lâOCSAN, et moins encore au regard du redressement spectaculaire des stocks qui prévaut, depuis quelques années, dans certains pays de lâAtlantique Nord , tels que le Canada, lâIslande, lâEcosse et la Norvége, pour ne pas parler de la Russie ( Kola).
Toutes les statistiques démontrent en effet que les stocks et les captures des rivières de ces pays sont en nette augmentation depuis 3 ou 4 ans ; ce constat découle, non pas du réchauffement de la température de lâeau de mer, que dâailleurs la fonte glaciaire doit plutôt refroidir que réchauffer, mais essentiellement de lâarrêt des pêches commerciales aux filets dérivants de part et dâautre de LâAtlantique Nord: au Groenland, en Islande, aux Féroé, Ecosse et Norvège (Trondheim) par le NASF*, piloté par lâIslandais Orri Vigfusson et au Canada par lâASF. Le NASF est l’acteur principal de ces opérations de sauvegarde et il mérite toute notre gratitude. Seule subsiste encore en Europe la pêcherie commerciale des filets Irlandais, responsable de lâinterception de plus de 200.000 saumons adultes par an, sur leur trajet de retour vers leurs rivières natales dâIrlande, du Sud Ouest UK , de France et dâEspagne. Le NASF sâest attaqué résolument au problème Irlandais et, avec lâaide de la CEE , on peut aujourdâhui raisonnablement espérer un accord de limitation drastique de ces captures commerciales illicites dans un proche avenir. Il devrait en découler un rapide rétablissement des stocks de nos rivières bretonnes, à condition toutefois que celles-ci soient en en état de le supporter et de le maintenir durablement.
Pour ce qui me concerne, je pêche le saumon à la mouche en Finistère Sud depuis 35 ans et je pratique régulièrement, depuis 25 ans, les rivières dâEcosse, Galles, Irlande, Russie, Norvège, Islande et Canada ( Gaspésie), ce qui mâa beaucoup appris ; je milite en outre dans les rangs du NASF depuis prés de 15 ans , pour la sauvegarde de lâespèce en mer.
Tout récemment jâai effectué un séjour en Islande et un autre au Québec, sur la rivière Grande Cascapédia, comme je lâavais déjà fait en 2004 . Ces séjours ont renforcé mes convictions , qui sont en contradiction avec lâhypothèse émise par M. Merceron sur les causes de la raréfaction du saumon. Je retiens, briévement :
– En Islande : les captures de saumons dans les rivières Islandaises vont de records en records depuis quelques années ; après une excellente année 2004 , presque toutes les rivières dâIslande vont pulvériser leurs records en 2005 ; cette abondance concerne surtout des petits saumons ( grilses). Certes les stocks plétoriques de certaines rivières sont boostés par des alevinages plus ou moins importants, mais la survie en mer et les retours de saumons ne semblent pas le moins du monde affectés par un quelconque réchauffement des eaux de lâAtlantique Nord.
-Au Canada : il en va de même, au Québec en particulier, depuis 3-4 ans, avec cette différence majeure que les stocks de retours sont essentiellement composés de saumons MSW, ayant donc survécu et prospéré dans lâAtlantique Nord pendant deux hivers et plus.
Jâai en effet eu le privilège , ce mois dâAout 2005 , de pêcher, pour la deuxième année consécutive, la rivière Grande Cascapédia, en Gaspésie, et dây découvrir avec émerveillement et stupéfaction, en nombre important, des cohortes de saumons de 10 à 50 livres +, regroupés, en période dâétiage et de très basses eaux, dans les principales fosses de la rivière.Les statistiques démontrent que de nombreuses captures de grands saumons, dâun poids moyen supérieur à 20 livres, ont été réalisées en 2004 et au début de la saison 2005. Epargnés par le rachat des filets du Groenland, Labrador et Québec, il apparaît que ces stocks sont en voie de reconstitution, sans avoir à souffrir dâun quelconque réchauffement des eaux marines.
Que dire enfin de lâamélioration spectaculaire des stocks et captures de saumons des rivières dâEcosse et de Norvège depuis quelques années, à lâopposé du déclin continu des rivières Irlandaises, Britanniques ( Sud-Ouest) et Françaises, bretonnes en particulier ?
Je nâai aucune compétence pour me prononcer sur lâimpact éventuel du réchauffement de la planéte sur la raréfaction des saumons de nos rivières bretonnes, que les faits ne semblent pas confirmer ; je préfére retenir dâautres explications plus vérifiables et qui engagent la responsabilité de lâhomme, tout en constatant que les causes se cumulent, ce qui nâest pas fait pour en faciliter les remèdes :
– La dégradation de lâhabitat et les excès de la pêche en eau douce :
Depuis lâavènement de lâagriculture et des élevages intensifs en Bretagne , dans les années 1970, précédé par le remembrement des terres et accompagné par le développement des industries agro alimentaires dans de nombreux bassins versants, les stocks et les captures de saumons ( et de truites ) des rivières bretonnes nâont cessé de décliner, au point dâêtre menacés dâextinction. Pour les hommes de terrain que sont les pêcheurs présents depuis plus de 30 ans, est apparue depuis lors une lente et profonde altération de lâhabitat piscicole de nos rivières, caractérisée par : lâensablement et le colmatage progressifs des fonds entrainant la stérilisation de nombreuses zones de frayères, la prolifération et la précocité des herbiers, lâenvahissement de la végétation riveraine, lâérosion des rives, le ruissellement des eaux de pluie lié à lâarasement des talus, la perte de profondeur et lâélargissement des rivières, la raréfaction des insectes et de la nourriture des tacons (et truites) etcâ¦, toutes altérations plus ou moins liées au développement de lâagriculture intensive. Il ne fait pas de doute que le taux de s
urvie de lâÅuf au smolt sâen trouve considérablement réduit, comme en témoigne la diminution persistante des cohortes de dévalaison de smolts au printemps.
– Les pêches commerciales du saumon en mer et les pêches industrielles et « minotières » :
La phase marine de la vie du saumon Atlantique est encore mal connue, mais au moins avons-nous la certitude chiffrée des dégats occasionnés aux stocks des rivières Irlandaises, Anglaises, Françaises et Espagnoles par les filets dérivants Irlandais à lâOuest et au Sud de lâIrlande depuis les années 70 ; ce sont en effet plus de 200.000 saumons adultes qui sont éliminés chaque année par ces filets au cours de leur migration de retour vers leurs rivières natales, au stade de leur maturité pour la reproduction. Quâil en subsiste encore dans nos rivières tient du miracle, mais tout espoir nâest pas perdu : le NASF a proposé au Gouvernement Irlandais le rachat de ces filets, moyennant compensations équitables et reconversions professionnelles pour les pêcheurs ; ce combat semble être aujourdâhui entré dans sa phase finale, avec lâappui de la CEE.
Dâautres activités de pêche industrielle, exercées par diverses flottes de grands chalutiers pélagiques opérant dans lâAtlantique Nord Est, constituent une autre cause probable de la raréfaction du saumon en Europe ; toutefois lâimpact réel de ces activités, qui font actuellement lâobjet dâétudes par le CIEM , nâa pas encore pu être quantifié et ne fait à ce jour lâobjet dâaucune mesure de réglementation.
Il sâagit :
– de la pêche dite « minotière », qui prélève plusieurs millions de tonnes par an de petits poissons fourrages, tels que capelans, sandeels, sprats etcâ¦destinés aux lobbies industriels de la transformation en farine de poisson et aliments pour animaux, tout particulièrement pour lâaquaculture duâ¦saumon dâélevage !
– de la pêche pour lâalimentation humaine de poissons pélagiques, tels que maquereaux, harengs, chinchards, par des grands chalutiers congélateurs Nordiques. Les post smolts de saumons se joignent aux bancs de ces espèces pélagiques, avec lesquelles ils se nourrissent au cours de leur migration vers leurs zones principales de nutrition, en Mer du Nord et Atlantique Nord, autour des Iles Feroé et de lâIslande ; ils sont à ce stade très vulnérables aux grands chaluts pélagiques qui les capturent « accidentellement »( by-catches »).
Il ne faut pas se cacher que le contrôle et la réglementation de ces pêches industrielles ne peuvent être mis en place que par la CEE et les gouvernements des pays Nordiques concernés, les intérêts économiques en présence étant considérables.
Quoiquâil en soit, on peut aujourdâhui raisonnablement espérer que les retours de saumons vers les rivières françaises et bretonnes en particulier pourraient sâaméliorer sensiblement au cours des prochaines années, dans la mesure où le problème des filets Irlandais déboucherait prochainement sur une solution acceptable.
Dans cette perspective encourageante, il apparaît que lâobjectif et le devoir bien compris des pêcheurs français et de leurs associations devraient être de concentrer et dâamplifier leurs efforts et leurs actions pour la réhabilitation de lâhabitat et de la qualité de lâeau de leurs rivières, en vue dâaméliorer la reproduction et le taux de survie des jeunes saumons en eau douce ; la réglementation des périodes et des méthodes de pêche en rivière devrait parallélement être revues. Sur ces derniers points, ma conclusion rejoint tout à fait celle de lâarticle dâEau et Rivières de Bretagne
André Dhellemmes
NASF France
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