FAIRE DE L’ATLANTIQUE NORD UN EXEMPLE DE BIODIVERSITÉ ET DE DÉVELOPPEMENT DURABLE

« Ce ne sont pas les ressources que nous possédons qui font de nous une grande nation… c’est la façon dont nous les exploitons. »  Nous, habitants de la région de l’Atlantique Nord, devrions comprendre, à l’instar de Theodore Roosevelt, qu’une gestion intelligente de notre mère patrie est l’une des formes de citoyenneté les plus responsables. Ses mots résonnent plus fortement aujourd’hui qu’au début du siècle dernier, alors qu’il tâchait d’insuffler aux États-Unis sa passion pour la conservation. Aujourd’hui, comme c’était déjà le cas autrefois, la recherche de méthodes visant à renforcer la préservation concrète de l’environnement est menée par les personnes qui chassent, pêchent et œuvrent avec passion pour protéger notre riche patrimoine naturel.  


 

Les défis

 Trois mots, ÉNERGIE, EXPLOITATION et ENVIRONNEMENT, font aujourd’hui la une de l’histoire de notre temps. Un quatrième mot, DURABILITÉ, est également en passe d’acquérir le statut de mot clé, mais c’est malheureusement dans l’expression MANQUE DE DURABILITÉ que ce mot est le plus souvent retrouvé.  C’est, me semble-t-il, précisément dans ce domaine que nous, qui habitons à proximité de l’Atlantique Nord, avons un rôle particulier et significatif à jouer. La topographie de nos pays est telle que nous ne sommes jamais loin de la mer et pouvons dépendre de sa richesse. Nous devrions exiger que les richesses de l’Atlantique Nord soient exploitées de façon pleinement durable et montrer la voie au reste du monde. Dans les années à venir, tous les habitants de la région de l’Atlantique Nord devront considérer le réchauffement climatique à la fois comme une opportunité et un défi. Les besoins d’innovation seront considérables, et nous assisterons à une rapide expansion des solutions basées sur le marché qui permettent aux économies nationales du monde entier de se développer et de créer la future génération de salariés bien rémunérés. Cette conférence est axée sur la recherche d’innovation dans les solutions technologiques durables et la recherche d’une feuille de route pour la création de l’institut TACIT (Trans Atlantic Climate Institute), qui coordonnera et facilitera la recherche appliquée et les projets innovants dans le domaine des sciences et des technologies marines. Le réchauffement climatique pourrait bien donner un nouveau visage à notre planète pour les générations futures. S’il n’est pas contrôlé, le changement climatique pourra avoir certaines conséquences catastrophiques : phénomènes météorologiques violents, inondation des côtes, sécheresse, déséquilibre de l’écosystème, pollution etc. Parallèlement, de nouvelles opportunités se présentent : agriculture plus productive dans les latitudes nord, voies maritimes plus ouvertes etc. Plus que jamais, l’Atlantique Nord doit faire face à ces menaces et accueillir ces opportunités ; les changements seront magnifiés si rien n’est fait pour stopper la surexploitation et la pollution croissante générée par les pays industrialisés. Sans une gestion prudente, la plupart des communautés de la région seront marginalisées, incapables de s’adapter ou laissées derrière dans la ruée vers la nouvelle économie mondiale. Les communautés de l’Atlantique Nord sont également confrontées à la double menace que constituent la prolifération urbaine et la mauvaise gestion bureaucratique. Nous devons agir afin d’empêcher que l’environnement de l’Atlantique Nord soit davantage malmené par les pluies acides et le déversement des déchets industriels.L’affaiblissement des stocks de poissons et les quotas revus à la baisse ont limité les opportunités d’emploi dans le secteur de la pêche, notamment chez les jeunes, ce qui a eu de graves conséquences pour la structure sociale et culturelle de la région.  Des communautés entières ont été écartées de toute prise de décisions concernant la gestion des ressources naturelles, qui constituent leur principale source de revenus.  Les habitants de la région de l’Atlantique Nord sont toujours plus nombreux à dépendre des stocks de poissons, comme c’était déjà le cas autrefois. Et pourtant, ils se voient confier de moins en moins de responsabilités en ce qui concerne la gestion efficace de ces stocks ou de leurs écosystèmes. Si nous prévoyons de créer un nouveau régime durable et fructueux, alors les droits de l’homme des parties prenantes devront être respectés. Ces dernières, toutes autant qu’elles sont (pêcheurs, exploitants pêcheurs, fabricants, distributeurs et environnementalistes), devront être invitées à la table des négociations. Les communautés rurales ne survivront que si elles vivent en harmonie avec la nature, exploitent et préservent les ressources naturelles de façon judicieuse et s’unissent pour protéger et promouvoir le mode de vie qui leur est propre. Elles doivent être les gardiennes du bien-être animal et devenir des défenseurs responsables, au même titre que des utilisateurs des richesses de la nature.   

En route vers le progrès

 J’espère que vous me permettrez de suggérer de quelle façon nous pourrions commencer à rassembler nos idées. En Islande, au Groenland et dans les Îles Féroé, un virage a d’ores et déjà été opéré en direction de la durabilité en ce qui concerne les pratiques de pêche commerciale. Si ces trois pays sont passés par des étapes difficiles pour élaborer leurs politiques de gestion de la pêche, ils sont néanmoins parvenus, par rapport au reste du monde, à atteindre des modèles de gestion plutôt performants.  La région de l’Atlantique Nord, à l’instar de la plupart des régions océaniques du monde, réclame notre aide, et ces trois pays nordiques lui apportent leur soutien. Il est essentiel que nous parvenions à un accord au vu des changements probables que le réchauffement climatique génèrera, sans parler de l’émergence de nouveaux groupes d’intérêt puissants, bien décidés à exploiter le pétrole et les richesses minérales qu’ils ne pouvaient jusqu’alors espérer atteindre. Si ces nouveaux venus se refusent à adopter notre engagement général et éclairé en faveur de la protection de l’environnement, le modèle de durabilité que les trois pays nordiques ont mis en œuvre pourrait lui aussi être menacé. Je suis fermement convaincu que des solutions pratiques peuvent permettre d’assurer un développement durable. De par leur situation géographique, entre l’Amérique et l’Europe, les îles du Groenland, l’Islande et les Îles Féroé sont au cœur du vaste écosystème médio-atlantique. Nous avons hérité de ressources naturelles abondantes, que sont les stocks de poissons.  Tout comme les eaux du Canada, des États-Unis, de la Norvège, de la Russie et des pays de l’Union européenne, nos eaux font partie intégrante d’un vaste territoire de pêche naturel. Depuis maintenant cinq siècles, l’Atlantique fait l’objet d’une exploitation toujours croissante, s’appuyant sur des technologies toujours plus efficaces. Cette exploitation doit aujourd’hui cesser. Notre objectif commun doit être de faire de ce vaste champ de bataille bio-économique un écosystème géré dans le souci de la durabilité. L’Union européenne a d’ores et déjà affirmé qu’elle estimait primordial de perpétuer de façon durable ce gigantesque écosystème. Dans un rapport remis aux chefs d’État des pays membres, le Haut-représentant de l’Union européenne pour la politique étrangère, Javier Solana, et le Président de la Commission européenne décrivent le changement climatique comme « un multiplicateur de menaces », qui attisera nombre des tensions existantes et renforcera l’instabilité. Selon les auteurs du rapport, le changement climatique dessine « un nouveau paysage concurrentiel pour l’appropriation des ressources énergétiques ». Ils mettent en garde contre un « conflit potentiel » pour l’accès aux ressources dans les régions polaires, rendues exploitables par le réchauffement climatique. Ce rapport de l’Union européenne suggère en réalité que les 27 nations devraient élaborer une politique spécifique à l’Arctique « fondée sur la géostratégie en constante évolution de la région Arctique, et prenant en considération… l’accès aux ressources et l’ouverture de nouvelles voies maritimes. » Les nouvelles voies maritimes offriront sans nul doute de nouvelles et vastes opportunités, tout comme les réserves pétrolières et minérales et les probables changements d’opportunités pour la pêche du cabillaud, du hareng, du capelan et de la plupart des autres espèces de poissons de l’Atlantique Nord. Inévitablement, nous assisterons également à une multiplication des risques, et la ruée pour l’appropriation de nouvelles sources de matériaux et de richesse aggravera certainement les menaces pesant sur la sécurité internationale.    À ce jour, l’Islande, le Groenland et les Îles Féroé ont décidé de ne pas faire partie de l’Union européenne. Pourtant, nombre de nos stocks sont interconnectés avec les stocks d’autres nations. Comment allons-nous gérer ces ressources multinationales pour atteindre la durabilité ? Et par durabilité, j’entends la durabilité biologique et sociale associée à un niveau de bien-être le plus élevé possible.

 Des droits de propriété forts 

 À mes yeux, les accords commerciaux libres et volontaires conclus entre les parties prenantes constituent la clé d’une durabilité réussie à long terme. Certaines de ces parties prenantes sont les gardiennes des ressources naturelles, d’autres représentent les intérêts des divers utilisateurs. Il nous faut des partenaires actifs et engagés dans la gestion des stocks de poissons et des autres ressources naturelles. Les décisions relatives à la gestion doivent refléter les besoins et aspirations d’une vaste consultation, dans laquelle sont représentés tous les échelons du gouvernement, des sociétés nationales et internationales, des organisations à but non lucratif et bénévoles et des associations de propriétaires de terres, de bateaux et d’équipements. Enfin, j’estime que le système doit reposer sur des droits de propriété forts. Les accords commerciaux sont selon moi largement préférables aux règlements intergouvernementaux et aux organisations auxquelles ils donnent inévitablement lieu, et qui échouent pratiquement toujours dans leur mission. Les systèmes fondés sur la propriété sont simplement nettement mieux adaptés aux conditions en constante évolution, y compris aux conditions climatiques : ils permettent en effet de gérer les intérêts concurrentiels générés par les mouvements des stocks de poissons chevauchant la zone des 200 milles et des stocks de poissons migrateurs. Par ailleurs, les problèmes de prises accessoires rencontrés en pêche mixte rendent impérative la mise en place d’un système de gestion multi-espèces.  Permettez-moi d’insister sur le fait que rien ne surpasse le bon sens et les solutions économiques pratiques. J’estime par exemple que diriger la création d’une nouvelle flotte de bateaux respectueuse de l’environnement devrait constituer un objectif naturel pour les habitants des Îles Féroé et d’Islande. Un trop grand nombre de bateaux mal conçus et terriblement inefficaces sur le plan environnemental ont été mis sur le marché récemment, souvent à prix réduits. Je crois que nous devons encourager nos ingénieurs en construction navale, qui ne manquent pas de créativité, à examiner de plus près le design fondamental des bateaux, l’hélice, la composition du fuel, les processus de propulsion, de refroidissement et d’échappement, pour ne nommer que quelques aspects à développer.  Je connais un ingénieur optimiste qui pense être capable, dès que le temps lui sera accordé, de concevoir un bateau permettant de réduire de 50 % les coûts énergétiques en intervenant sur ces éléments.

 Innovation et globalité

  Le succès ne peut être atteint que si une voix internationale forte et active représentant toutes les personnes impliquées dans le maintien et la promotion du développement durable peut être entendue. Des postes doivent être proposés aux nouveaux talents, car il est de l’intérêt de tous d’offrir des opportunités à la jeune génération. Nous devons donner leur chance aux états d’esprit entreprenants et aux talents créatifs, et adopter une stratégie visant à favoriser et mettre en pratique les approches innovantes et les nouveaux modes de résolution des problèmes. Il me semble essentiel de donner naissance à une nouvelle culture d’entreprise si nous prévoyons de mettre en œuvre un système de gestion de la pêche efficace et de surmonter les défis sociaux auxquels nous seront confrontés. De nouvelles méthodes doivent être mises en place pour favoriser la créativité au sein des secteurs dans lesquels nous souhaitons réussir. L’obtention de bénéfices réels et durables pour le plus grand nombre ne se fera pas sans théoriciens innovants ni sans experts en résolution des problèmes au mode de raisonnement indépendant.  Le secteur halieutique connaît une évolution rapide. Le réchauffement climatique étant d’ores et déjà amorcé, nous nous devons, comme le pensent la plupart, d’élaborer de nouvelles stratégies pour développer nos connaissances sur ce qui est en train de se produire et la façon dont la situation future pourra évoluer. Pour ce faire, écoutons les personnes bénéficiant d’une expérience pratique et concrète dans la gestion de la pêche, et donnons responsabilités et autonomie aux personnes à qui nous souhaitons confier cette mission à l’échelle locale.    Alors que le grand public doit être informé sur les actions à entreprendre, dans le domaine de la présentation visuelle, les talents créatifs sont souvent peu reconnus dans la région de l’Atlantique Nord. Je tiens à mentionner qu’il n’y a probablement aucun lieu au monde qui compte plus de peintres et artistes de qualité par habitant (ou par superficie) que les Îles Féroé. Nous avons besoin de leurs talents pour élaborer des projets qui illustrent l’environnement marin complet de la région, du zooplancton à l’espèce humaine.    

Le rôle de la science 

 Dans le secteur halieutique, les accords commerciaux doivent reposer sur des droits de propriété forts et de solides données scientifiques. L’objectif scientifique est simple. Il s’agit de reconstituer et de maintenir les abondantes populations composant les stocks de poissons. Avant toute chose, ces accords doivent inclure toutes les parties intéressées. Mon domaine de spécialisation est le saumon atlantique sauvage, l’une des espèces de poissons les plus étudiées. Je suis parvenu à la conclusion que les futurs programmes de gestion devront permettre de protéger le stock de saumons préexistant, de limiter l’interception au filet sur les voies de migration et de maximiser les retours durables, aussi bien pour les nations locales que pour les nations hôtes et leurs populations. En ce qui concerne le saumon, mon organisation s’est donné pour objectif de recréer l’abondance. Pourquoi n’adopterions-nous pas cet objectif pour tous les stocks de poissons ? Si je suis largement en faveur d’une implication des gouvernements dans l’adoption de réglementations liées à science et à la biologie, j’estime cependant que ces derniers ne doivent pas intervenir dans les activités de gestion quotidiennes de la pêche. Une fois que des droits de propriété adéquats auront été définis, le marché, par le biais d’accords commerciaux, constituera la méthode d’organisation et de gestion adéquate de la pêche. Ne vous y trompez pas : les ressources fauniques, telles que le saumon atlantique sauvage, nécessitent de toute urgence l’aide du gouvernement. La disparition des habitats, la concurrence accrue générée par les espèces envahissantes et la quantité insuffisante d’eau pure pour les poissons ne sont que quelques uns des défis importants qui nous attendent, et autant de domaines dans lesquels l’intervention des gouvernements serait la bienvenue. Selon moi, les recherches biologiques devraient, de façon intrinsèque, être exclusivement académiques. Autrement dit, les scientifiques du domaine halieutique devraient être affranchis de l’ingérence qu’ils subissent actuellement de la part de groupes d’intérêt concurrents ou de la peur de compromettre leur carrière si leurs études ne rentrent pas dans le cadre des politiques fiscales nationales. Tel que je l’envisage, le rôle des gouvernements doit être confiné à une fonction régulatrice, qui garantisse l’abondance biologique, le respect des droits de l’homme et les principes de la concurrence loyale.  Ce type d’approche flexible est, me semble-t-il, la façon dont nous devons gérer les nombreux et divers problèmes relatifs aux stocks de poissons dans l’Atlantique Nord. Nous devrions commencer par examiner à la loupe ce dont nous disposons en termes de données et d’informations. Puis, une fois que nous aurons la certitude de savoir ce qui doit être repensé, il conviendra d’élaborer des modèles de gestion adéquats. Lorsque nos actions auront été décidées, nous ne devrons faire aucun compromis au profit de considérations politiques.  À titre d’exemple, le quota annuel appliqué au cabillaud dans les eaux islandaises a été défini à environ 25 % du stock biologique exploitable. Cette décision ayant entrainé une surexploitation, les scientifiques ont alors réclamé des quotas de plus en plus bas. Notre ministre de la Pêche actuel a décidé de serrer les dents, de suivre ces conseils et de définir les quotas de cabillaud à 130 000 tonnes cette année, contre 193 000 tonnes l’année dernière.  Ce dernier a également décidé de contraindre les senneurs de capelan au mouillage jusqu’à ce que des stocks suffisants soient retrouvés. Voici un exemple de gestion adéquate de la pêche dans la pratique. Malheureusement, les décisions prises dans le souci de protéger les stocks de poissons sont parfois tout sauf populaires. Bien trop souvent, des ministères de la Pêche peu téméraires autorisent des quotas excessifs, probablement pour récupérer des voix. Parfois, les quotas globaux justifiés sur le plan biologique peuvent s’avérer problématiques en raison de connaissances limitées. Nombreux sont ceux qui affirment que le cabillaud parvient parfaitement bien à masquer ses difficultés, et que ses mouvements peuvent être imprévisibles. L’Islande est l’un des leaders mondiaux en termes de gestion de la pêche. Et pourtant, l’une des faiblesses du système de quotas islandais est qu’il ne permet pas de différencier les différentes zones de pêche et diverses sous-populations de cabillaud. J’avais supposé qu’il était évident que si les pêcheurs ne parvenaient pas à atteindre le quota dans une zone, la marge restante ne serait pas utilisée pour surexploiter une autre zone plus sensible. La solution à long terme à nos problèmes de stocks de poissons consiste non pas à dénombrer les poissons sur notre seuil, mais à se montrer à la hauteur pour garantir que les stocks, dans leur globalité, puissent satisfaire les besoins des communautés locales, toutes autant qu’elles sont, et assurer leur subsistance. Le stock de cabillaud doit être géré, c’est une quasi-certitude ; non pas par zone géographique, mais en fonction des zones définies à partir des évaluations biologiques des populations et sous-populations.    

Aquaculture : opportunité et menace 

Puisque j’évoque la question du cabillaud, le moment me semble opportun pour évoquer ce qui semble être, dans la région, un véritable engouement pour l’aquaculture du cabillaud. Il y a de cela de nombreuses années, c’est la demande mondiale croissante de poisson qui a justifié l’introduction de l’élevage de saumon à grande échelle dans la région de l’Atlantique Nord. À l’heure actuelle, environ un million de tonnes de saumon atlantique est produit chaque année, essentiellement dans les régions côtières de Norvège. Malheureusement, ce secteur a enregistré une croissance trop rapide, et les effets négatifs prévisibles et imprévisibles se sont rapidement multipliés. Tous les secteurs, sans exception aucune, ont subi des dommages, parfois extrêmes. Il semblerait aujourd’hui que certains secteurs prévoient d’adopter une approche précipitée similaire pour satisfaire la demande de cabillaud atlantique. Des millions de couronnes publiques et privées devraient être investies dans les infrastructures destinées au lancement de fermes d’élevage de cabillaud et à la mise au point de cabillauds dotés de gènes adéquats. Dans une récente interview, le ministre de la Pêche norvégien a encouragé les entrepreneurs à accélérer ce processus, et a en effet déclaré : « Laissons les scientifiques se préoccuper de résoudre les problèmes environnementaux ultérieurement ». C’est précisément ainsi que l’élevage de saumon s’est développé.  Des cas de mortalité ont déjà été recensés dans les fermes d’élevage de cabillaud à cause d’infections bactériennes qui, à première vue, semblaient être associées à une bactérie inconnue, appartenant à une famille de bactéries mortelles. De toute évidence, nous avons une nouvelle fois échoué à tirer des leçons.   L’approche actuelle est selon moi totalement inadaptée ; la regrettable histoire de l’aquaculture du saumon va se répéter à l’identique. Notre espèce est-elle incapable d’apprendre de ses erreurs ? Nous refusons que nos stocks côtiers de cabillaud subissent un sort aussi aventureux et potentiellement dangereux tant que nous n’aurons pas la certitude que ce sera sans danger. Les programmes pilotes concernant le cabillaud doivent être limités à des projets de petite envergure et maintenus isolés de nos stocks naturels. Ceci étant dit, l’aquaculture s’avèrera certainement nécessaire à l’avenir.  Je demande simplement qu’elle soit réalisée de façon responsable, et certainement pas aux dépens de la pêche naturelle.  

Des limites efficaces sur la pêche minotière 

Nous devons également gérer de façon plus efficace ce que nous appelons la pêche minotière,  car ce type de pêche deviendra certainement de plus en plus problématique. Nous avons plusieurs raisons de penser que le cabillaud, le saumon et de nombreuses autres espèces nécessitent davantage de capelans et de lançons qu’ils ne peuvent actuellement en trouver. J’ai beaucoup de difficultés à comprendre la logique qui consiste à priver nos précieux stocks de saumon et de cabillaud d’espèces-proies uniquement pour alimenter les saumons d’élevage ou les exploitations porcines européennes subventionnées. De plus en plus de mesures de préservation doivent être intégrées à nos systèmes de gestion. Les engins pourvus d’hameçons et les autres engins de pêche fixes ayant un impact nul ou limité sur l’habitat doivent être préférés à ceux qui détruisent l’habitat. Il est essentiel de comparer le prix d’une dégradation de l’habitat aux avantages à court terme associés aux engins de pêche plus efficaces en termes de capture. Le problème des rejets à la mer et des prises accessoires doit être abordé de façon plus efficace qu’il ne l’est aujourd’hui.  

Voici en quelques mots les points généraux qui me semblent fondamentaux :

1) NÉCÉSSITÉ DE DÉFINIR DES QUOTAS RÉGIONAUX BASÉS SUR LES RÉGIONS BIOLOGIQUES et non pas sur les communautés humaines, la géographie ou la pêche historique.

(2) UNE EXPLOITATION OPTIMALE qui axe les efforts de pêche sur les divers groupes d’âge qui peuvent le mieux supporter la pression de la pêche.  (3) DES MESURES DE PRÉSERVATION, notamment la fermeture de zones pour permettre aux stocks de poissons en diminution de se reconstituer et éviter les rejets sélectifs et autres problèmes de prises accessoires similaires. 

(4) L’AQUACULTURE, un domaine dans lequel nous ne pouvons pas nous permettre d’erreurs supplémentaires ; toutes les décisions futures devront reposer sur une approche beaucoup moins tolérante vis-à-vis des risques.

 (5) LA PRÉSERVATION DE LA CHAÎNE ALIMENTAIRE par le biais d’une réduction et d’un contrôle nettement accru de la pêche minotière, et d’une interdiction de la pêche au chalut dans les zones où cette technique dégrade l’habitat.    

Généraliser le modèle de l’Atlantique Nord

Permettez-moi maintenant d’adopter une perspective plus vaste. Nous savons que le modèle de gestion de la pêche appliqué dans la région de l’Atlantique Nord n’est absolument pas suivi dans les autres régions océaniques du monde. À l’échelle mondiale, la pêche de capture en eaux océaniques représente un chiffre d’affaires annuel de quelque 100 milliards de dollars. D’après des estimations (basées sur les études de cas de pêcheries individuelles), les pêcheries pourraient, à l’échelle mondiale, dégager des bénéfices atteignant au minimum 50 milliards de dollars par an. Et pourtant, malgré certaines lueurs d’espoir récentes, la plupart des acteurs de ce secteur ne gagnent pas leur vie et pourraient même, sans les subventions inadéquates allouées par les gouvernements, perdre entre 10 et 20 milliards de dollars par an. Parallèlement, la majorité des stocks de poissons les plus précieux sont gravement surexploités, et les méthodes de pêche inadéquates donnent lieu à des dommages environnementaux collatéraux.  La principale raison de cette situation est la mauvaise gestion de la pêche par les gouvernements ou, pour employer d’autres termes, l’absence de systèmes de droits de propriété efficaces et l’échec à adopter des réglementations biologiques appropriées qui en découle. Il est communément admis que la structure institutionnelle adoptée par la plupart des pêcheries mondiales pour exercer leurs activités – des accords de propriété communs réglementés – est tout simplement inadaptée. Cela a été précisément démontré par les experts en sciences naturelles et sociales à travers le monde. Il n’existe pas d’opinions divergentes à ce sujet dans le monde scientifique.   Ce dont nous avons besoin, ce sont des droits de propriété individuelle forts dans les pêcheries (droits d’usage territoriaux dans les pêcheries, quotas individuels transférables voire même, dans certains cas, droits communautaires), qui puissent être transférés entre les pêcheurs et les autres utilisateurs. Dans ces circonstances, les détenteurs de droits de propriété estimeront qu’il est dans leur intérêt d’adopter les meilleures approches scientifiques disponibles pour préserver des populations de poissons abondantes et des écosystèmes sains. Des droits de propriété individuelle forts : tel est l’élément clé qui permet de créer les mesures incitatives pour un « investissement en capital continu dans la nature ». Ils devraient constituer une base adéquate pour de solides stocks de poissons. Si cette mesure était adoptée, nombre de personnes profiteraient des bénéfices que peut offrir un revenu national par habitant élevé, tel celui dont mes concitoyens et moi-même bénéficions.Certains d’entre vous peuvent se poser la question suivante : « Si ces solutions sont performantes, pourquoi n’ont-elles pas été appliquées à travers le monde ? » J’y vois des raisons socio-politiques (cultures historiques basées sur la pêche, et gestion traditionnelle de la pêche par les gouvernements) qui n’ont pas permis de suivre les progrès significatifs réalisés dans les technologies de capture. Je suis par ailleurs convaincu qu’il existe un manque généralisé de confiance (dû aux échecs de gestion récents), de connaissances et de compréhension des enjeux de la pêche.Comme vous pouvez le constater, deux thèmes retiennent tout particulièrement mon attention : l’application d’une démarche scientifique rigoureuse, axée sur la reconstitution de populations de poissons abondantes, et les droits de propriété forts visant à rationaliser l’exploitation de ces ressources.  Je suis néanmoins conscient que d’autres sujets importants méritent que l’on s’y attarde.  Je vais pour cela vous faire part de mon point de vue sur quelques uns de ces sujets.

Image et marque

Si l’Atlantique Nord doit devenir un exemple de gestion performante de l’écosystème, il est essentiel de persuader les participants d’accepter la nécessité d’une restriction. S’il a été démontré que les systèmes reposant sur les droits de propriété permettent à leurs participants de bénéficier de retours économiques accrus, il existe cependant d’autres façons d’accroître ces retours et donc d’optimiser les systèmes reposant sur les droits de propriété.  La mise en application de mesures de préservation et les règles rigoureuses relatives à la pêche sont certes les premières étapes vers la durabilité. Néanmoins, le gain dont bénéficient les participants peut être sensiblement amélioré par le biais d’une mise en valeur des bénéfices environnementaux que ces systèmes permettent d’obtenir. La durabilité est un concept clairement commercialisable, associé à un gain significatif pour les participants.   Comme dans tout plan d’investissement / de développement, un concept marketing doit être soigneusement élaboré. Les segments de clients potentiels doivent être identifiés, et le produit conditionné et commercialisé avec ingéniosité. L’identité de la marque est un facteur déterminant pour les clients en général : elle leur permet de décider quel produit acheter. La publicité et les articles positifs sur les poissons d’Atlantique Nord publiés dans la presse ne suffisent pas. Ces supports n’ont de valeur que si nous parvenons à satisfaire les attentes qu’ils suscitent chez nos clients. Groucho Marx, grand nom du cinéma hollywoodien, a un jour déclaré : « La VÉRITÉ et la SINCÉRITÉ sont, dans la vie, les secrets de la réussite. Si vous parvenez à feindre ces valeurs, alors vous avez gagné. » Malheureusement, ses conseils se vérifient dans de nombreux aspects de la vie d’aujourd’hui. Néanmoins, il est impossible de feindre la disponibilité de sources de nourriture durables. Vous n’aurez qu’une seule occasion de créer une marque reposant sur la durabilité ; si la durabilité s’avère être un mensonge, vous n’aurez pas de seconde chance.    C’est la raison pour laquelle un pays ou une région qui souhaite créer des pêcheries de première qualité doit présenter et protéger une image positive de ses ressources et produits.  La marque revêt une importance particulière et croissante. Elle définit ce qu’un produit évoque, sa valeur, ses attributs et ses applications et la raison pour laquelle il diffère des autres marques. Un produit ne devient une marque que lorsqu’il a acquis une place honorable dans l’esprit de ses consommateurs.   Les personnes impliquées dans les pêcheries d’Atlantique Nord savent que la région possède réellement le secteur halieutique le mieux géré et le plus respectueux de l’environnement au monde.  La plupart des consommateurs pensent différemment.  Nous capturons déjà les poissons les plus propres des eaux froides vierges de la région, mais nous ne sommes pas parvenus à promouvoir l’Atlantique Nord pour ce qu’il est, une source propre de poissons et fruits de mer les plus fins du monde, gérée avec professionnalisme.   Tous les groupes d’intérêt doivent mettre leurs ressources en commun et faire passer le message selon lequel la région prend de sérieuses mesures pour garantir et promouvoir le développement durable. Nous devons affirmer notre objectif de faire des pêcheries de l’Atlantique Nord un exemple pour le reste du monde.  

Conclusion

 Je résumerais ainsi mon point de vue concernant le futur de l’Atlantique Nord : celui-ci requiert un ensemble interconnecté de processus efficaces, similaire aux écosystèmes qui nous font vivre.  Nous ne devons accepter les réglementations nationales que si celles-ci ont pour objectif de favoriser l’abondance. Ces processus doivent s’appuyer sur des évaluations biologiques rigoureuses et ciblées, dégagées de toute pression politique, et être fondés sur des données auditées et des modèles efficaces.  Nous devons adopter de nouveaux programmes multi-espèces, voire des modèles d’écosystème complets, pour atteindre notre objectif qu’est l’abondance. Les technologies de capture doivent être efficaces et permettre l’innovation ; quant aux participants, ils doivent se voir octroyer des droits de propriété garantis afin de favoriser les investissements complets et de permettre l’émergence d’une vision à long terme des demandes futures.  Maximisons la valeur de nos captures par le biais de campagnes marketing judicieuses reposant sur l’acceptation mondiale du fait que la région de l’Atlantique Nord abrite des pêcheries DURABLES, qui offrent les meilleurs produits à chacun de leurs consommateurs. Pour terminer, nous qui vivons et travaillons dans la région de l’Atlantique Nord et qui nous soucions de son sort, nous devons nous préparer à disputer un marathon économique et biologique au cours des prochaines décennies. Nous assisterons à une concurrence acharnée pour l’accès au large éventail d’opportunités qui émergeront. Et si la course n’est pas menée dans le souci de la durabilité, les coûts environnementaux pourraient être colossaux. Si nous ne plaçons pas la DURABILITÉ au cœur de nos activités économiques, l’océan qui a permis à nos cultures d’exister durant plus d’un millier d’années pourrait ne plus remplir cette fonction. Dans le passé, de nombreux investissements ont été réalisés pour saisir les opportunités qui se présentaient. Ceux qui aujourd’hui se risquent à faire des prévisions suggèrent que le futur de l’Atlantique Nord sera marqué par l’émergence d’une multitude d’opportunités. Comme c’est bien trop souvent le cas aujourd’hui, le développement a été financé de façon trop rapide, et a souvent eu des conséquences désastreuses pour l’environnement.  Aujourd’hui, nous ne pouvons nous permettre de sous-investir dans nos approches de précaution. Étant moi-même issu du milieu des affaires, je suis conscient que la nécessité de dégager des profits constitue toujours une priorité, et permet aux hommes politiques de remporter des voix. Néanmoins, privilégier les profits à court terme aux dépens d’un flux de revenus durable n’est pas un choix économique rationnel.   Si nous échouons dans notre mission, je crains que nous, habitants de la région de l’Atlantique Nord, finissions par représenter le volet rural d’un problème social européen. Nous qui chérissons notre indépendance, nous devrions à l’avenir être en mesure d’affronter et de sélectionner nos principaux partenaires commerciaux, qu’ils soient américains, chinois, indiens, japonais ou européens, avec une abondance de produits de première qualité que nous envie le reste du monde. 

Orri VigfussonTranstlantic Climate ConferenceThorshavn 7/8 Avril 2008

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