Le Combat d’un Islandais pour sauver le saumon

En cette fin d’année, mieux vaut tard que jamais. Voici la traduction d’un article de Stewart McBride dans l’International Herald Tribune du Vendredi 17 Juin 2005.

Le salon de réception de l’Ambassade de France à Dublin a vu se réunir les défenseurs d’un poisson. Les ambassadeurs d’Amérique, de France, d’Allemagne et d’Espagne s’y sont trouvés coude à coude avec des pêcheurs Irlandais hauts en couleur et des pêcheurs sportifs Anglais en blazers foncés, tous concentrés dans de vifs débats sur le sort du noble mais menacé saumon Atlantique sauvage.

Au milieu de la salle de réunion se trouvait « Saint Orri », l’Islandais à la mâchoire carrée qui a de son propre chef consacré les deux dernières décades à sauver le « roi des poissons » d’un désastre biologique.

« Les saumons Atlantique sauvages sont des citoyens du monde qui parcourent des milliers de miles », a déclaré Orri Vigfusson, 62 ans, agitant son impressionnante touffe de cheveux devant les diplomates et pêcheurs assemblés. « Mais ils sont sans passeports et demeurent sans défense face aux ravages des filets dérivants modernes de haute mer. »

Vigfusson est un élégant Viking en tweed, aussi à l’aise avec les pêcheurs qu’avec les personnages royaux. Il est originaire de Siglufjordur, port de pêche au hareng situé au Nord de l’Islande. Titulaire d’un diplôme de commerce de l’Ecole de Sciences Economiques de Londres , il a été fait chevalier par la reine du Danemark. Il a pêché à la mouche, côte à côte avec Benny Goodman et Jack Nicklaus. Il a dîné à St. James Palace avec un autre de ses amis de pêche, le Prince de Galles.

En ce moment son combat pour sauver le saumon sauvage de la surpêche conduit fréquemment l’infatigable Vigfusson en Irlande, seule nation Européenne qui pratique encore sur une large échelle la pêche aux filets dérivants, qui a dangereusement mis à mal les zones de pêcheries de saumons.

Au cours des trois dernières décades, les populations de saumon Atlantique sauvage ont été réduites des deux tiers. Les fragiles stocks de saumons disparaissent rapidement dans des pays comme l’Allemagne, la France et l’Espagne, tandis qu’ils ont déjà disparu de certaines rivières Américaines et Canadiennes. En exactement cinq ans, de 1994 à 1999, le total des remontées de saumons Atlantique dans les rivières d’Amérique du Nord a chuté de 200.000 à 80.000.

Les autres dangers rencontrés par le saumon Atlantique sont la pollution de l’eau, les barrages et les prédateurs, de même que les maladies d’origine aquacole, les parasites et les croisements avec les « échappés » des fermes d’élevage, lesquels affaiblissent les gênes du saumon sauvage. Mais le véritable ennemi, affirme Vigfusson, est la rapacité de la pêche commerciale aux filets dérivants qui a fait son apparition dans les années 1960, quand les traditionnels filets en chanvre ont été remplacés par les modernes nylons mono filaments sans merci.

Jusqu’à présent Vigfusson et son North Atlantic Salmon Fund, le NASF, ont recueilli 35 millions de dollars pour racheter les droits de pêche au saumon des pêcheurs commerciaux, des associations et des gouvernements du Groenland, des Iles Feroe, d’Ecosse, du Pays de Galles, d’Angleterre et d’Irlande du Nord. Il y a quelques mois, Vigfusson a négocié, pour 5 ans et 3 millions de dollars, un accord de rachat de 80% des filets dérivants Norvégiens du Fjord de Trondheim.

C’est maintenant l’Irlande qui est l’enjeu final de l’opération géopolitique de Vigfusson. Son approche audacieuse de la sauvegarde de l’espèce, « Si vous ne pouvez pas les maîtriser, rachetez les », est tombée dans des oreilles de sourds, à Dublin ; de ce fait, Saint Orri a porté sa croisade jusqu’à Bruxelles.

Vigfusson et sa délégation du NASF se sont exprimé le Jeudi 16 Juin devant le Comité des Pêches du Parlement Européen. Le message du NASF était : Alors que le reste de l’Europe met tout en Å“uvre pour la protection du saumon Atlantique sauvage, les filets dérivants Irlandais continuent à détruire plus de 200.000 saumons chaque année, s’appropriant ainsi scandaleusement 51% des captures Européennes totales de saumon sauvage, ainsi que Vigfusson l’a asséné.

« Orri et la campagne du NASF vont bien au delà de la seule pêche », a affirmé Brian Marshall, président du Wessex Salmon and Rivers Trust Britannique. « C’est une entreprise globale de préservation visant à protéger une espèce en danger »

La délégation du NASF à Bruxelles a également insisté sur le fait que l’exploitation illégale par l’Irlande de saumons en cours de migration est en violation avec la Loi des Nations Unies et la Convention des Mers, qui octroie les droits de gestion des pêcheries aux « nations d’origine » (tels que l’Angleterre, la France et l’Espagne), quelque soit l’éloignement des zones de pêche.

Le saumon salar, ou saumon Atlantique, vient au monde sous la forme d’un Å“uf orange de la grosseur d’un petit pois, dans les courants des petits affluents, du Connecticut jusqu’à la baie Canadienne d’Ungava, en Amérique du Nord, et du Portugal jusqu’à la Mer Blanche de Russie, sur les côtes Européennes. Environ un an plus tard, il est devenu un petit smolt argenté à l’aspect d’un crayon, prêt à partir en mer vers les zones nutritives abritées et riches en petits crustacés situées au large du Groenland, de l’Islande et des Iles Feroe.

Ces coureurs de fond peuvent courir l’Océan pendant des années, parcourant des distances équivalentes au trajet de New York à Los Angeles. Durant cette période, le poids du corps du saumon sauvage peut s’accroître du centuple, jusqu’à 4/5 kilos. Lorsqu’ils reprennent ensuite la route de leurs rivières natales, les saumons sauvages doivent échapper aux phoques et aux cormorans, franchir barrages et chutes, jusqu’à finalement retrouver mystérieusement le lieu de leur naissance, où ils s’accouplent et déposent leurs Å“ufs. « C’est la merveilleuse histoire d’un poisson majestueux luttant pour revenir chez lui et y rencontrer sa future épouse », comme le décrit Vigfusson

De nos jours, ce sont bien peu de saumons adultes revenant vers leurs rivières de France, d’Allemagne, d’Espagne, de Grande Bretagne et d’Irlande qui parviennent à éviter le mur de plus de 800 filets dérivants tendus au large de la côte Ouest de l’Irlande. De ce fait de moins en moins de saumons parviennent
à se reproduire et leurs populations s’effondrent.

« Il y a trente ans je pouvais attraper 900 livres de saumons en un après midi. Aujourd’hui je considère que j’ai été chanceux quand j’ai pu attraper 10 saumons », déclare John O’Connolly, 59 ans, un fileyeur aux cheveux blancs touffus. Il est le dernier pêcheur survivant d’un village situé à 40 kilomètres au Sud de Galway, dont les hommes sur des barques en bois de 7 ,60 mètres de long, à peu prés 25 pieds, ont pêché le saumon aux filets depuis plus de quatre siècles. « Orri est notre dernier espoir », affirme O’Connolly. « Il est le seul à pouvoir tenir tête au gouvernement Irlandais ».

Vigfusson croit que le NASF peut permettre au saumon Atlantique de retrouver son niveau d’abondance antérieur par l’interdiction de la pêche au large et dans les secteurs côtiers. En solution de remplacement, il serait favorable à une gestion de protection des rivières, à la promotion d’une pêche sportive lucrative qui, dit t’il, pourrait non seulement revitaliser les économies rurales, mais aussi générer des revenus complémentaires permettant de compenser les pêcheurs aux filets.

Le NASF estime que ses rachats commerciaux ont sauvé quatre à cinq millions de saumons sauvages. Et, récemment, l’Ecosse, l’Islande et Terre Neuve ont fait état de spectaculaires améliorations du nombre de retours de saumons sauvages dans leurs rivières natales, ce qui, de l’avis de nombreux pêcheurs, peut être attribué aux efforts de Vigfusson et de son organisation.

Son Islande natale est un modèle de succès dans le domaine de la préservation du poisson. Son paysage désolé, ses cours d’eau purs et la stricte gestion de la pêche en rivière ont transformé l’Islande en une véritable Mecque de la pêche à la mouche pour des personnes telles que Eric Clapton, Kevin Costner, Ted Turner et d’autres plus âgés comme George Bush et Perry Bass, le magnat milliardaire du pétrole Texan, qui a été le premier (et reste encore) le plus important donateur du NASF.

Vigfusson est actuellement le président du Club de pêche de la rivière Big Laxa, responsable de la pêche et de la préservation du saumon d’une des plus fameuses rivières de pêche sportive d’Islande. Il a fondé le NASF en 1989 parce qu’il avait alors réalisé que son club ne pourrait assurer la protection de sa pêcherie de saumons sans résoudre d’abord le problème des filets dérivants.

Dés l’instant que les filets Irlandais auront été interdits, affirme Vigfusson, le potentiel de croissance du revenu de la pêche sportive Européenne se relèvera. Il cite une étude récente de Indecon International Economic Consultants, concluant que, dans leur propre nation d’Irlande, un saumon Atlantique sauvage pris au filet se vend pour 22 euros, alors que le même saumon capturé à la ligne en Irlande peut générer jusqu’à 423 euros de revenus indirects en dépenses de nourriture, logement et transport.

Le même rapport prédit que, si seulement 50% des filets dérivants Irlandais étaient éliminés, le revenu des pêches sportives du pays pourrait atteindre 145 millions d’euros, dépassant même celui de l’Islande.

 

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